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Images du monde flottant

Dimanche dernier, un froid bleu engourdissait Bruxelles. L’herbe des parcs était toute givrée et les flaques d’eau ressemblaient à de petits lacs gelés. La magie de décembre enveloppait la ville et, tandis que Monsieur Bruxelles faisait filer la voiture dans les artères désertes (ah ! Bruxelles le dimanche !), je plissais les yeux de bonheur sous le soleil d’hiver, bien au chaud dans les plumes de ma doudoune. J’étais bien. Je me délectais simplement du moment présent, me laissant béatement hypnotiser par le défilé des maisons, le dégradé du ciel, le scintillement des rails du tramway sur les pavés ou la petite silhouette d’un merle furtivement apparue et disparue … Toute la ville semblait flotter, irréelle, merveilleuse, comme transformée par la baguette de quelque fée ou le souffle d’un Esprit de l’hiver.

Nous filions vers le Japon … ou, plus précisément, vers l’exposition Ukiyo-e – les plus belles estampes japonaises au musée du Cinquantenaire.

Après une petite demi-heure de traversée citadine, nous avons franchi les arcades du Cinquantenaire sous les chevaux du quadrige du Brabant – d’un vert d’eau irréel sur l’azur polaire du ciel. Nous étions là, voiture garée, tickets d’entrée à la main, calmement impatients, prêts pour le voyage. L’Esprit de l’hiver avait bien fait les choses : la beauté de la ville gelée comme un préambule aux images du monde flottant ….

Autant le dire tout de suite (j’ai un peu de mal à refreiner mon enthousiasme), cette exposition est une merveille ! Nul besoin d’être un spécialiste du Japon et de ses estampes. Il suffit juste d’ouvrir grand les yeux et de prendre son temps (surtout prendre son temps ! – nous y sommes restés près de 4 heures) afin de saisir chaque détail, chaque trait, chaque couleur de ces images et d’en être émerveillé.

L’exposition a cela d’intéressant qu’elle présente les plus belles estampes de la collection – mondialement réputée – des Musées Royaux d’Art et d’Histoire et parcourt toute l’histoire de l’estampe japonaise. Près de 500 œuvres ont été sélectionnées et sont présentées de façon thématique et chronologique (des premières estampes en noir et blanc aux dernières productions du début du 20ème siècle).

J’ai parcouru l’exposition en prenant mon temps m’arrêtant et revenant (comme je le fais toujours) aux œuvres que j’aime le plus. J’ai donc choisi de vous montrer ici mes estampes préférées, celles que j’aurais voulu tout simplement décrocher des cimaises et emporter sous mon bras pour les savourer chaque jour à loisir …

J’ai également photographié des détails qui me ravissaient : un visage, un chat endormi enroulé « en turban » sur les genoux d’une servante elle-même endormie, un oiseau, un vol de lucioles, des collines dans le lointain, les motifs des kimonos et aussi, vous n’en serez pas surpris, des tasses à thé …

Susuki HARUNOBU (1725 -1770), Illustration d’un poème de Sosei Hoshi (Sosei Hoshi) – Suite : Les trente-six poètes immortels – Ca. 1768 / Format : Chuban, 27,3 x 20,3 cm

Katsushika HOKUSAI (1760-1849), Vent frais par temps clair (Gaifū kaisei) – Suite : Trente-six vues du mont Fuji (Fugaku sanjūrokkei) – Vers 1830-1832 / Format : ōban, 26,0 x 37,9 cm

Kitagawa UTAMARO (1753 ?-1806), Tachibanaya Otatsu, hôtesse de maison de thé – Ca. 1793-1794 / Format : aiban 33,3 x 22,5 cm

 

Utagawa HIROSHIGE (1797-1858), Panorama nocturne des huit points de vue de Kanazawa dans la province de Musashi (Buyō Kanazawa hosshō yakei) – Format : triptyque d’ōban, 33,7 x 75,2 cm

 Ukiyo-e
Le terme japonais ukiyo-e signifie littéralement “images du monde flottant”. Le terme « monde flottant » (ukiyo) trouve son origine dans le bouddhisme où il fait référence à la vie terrestre caractérisée par la souffrance et l’éphémère. Cette connotation négative a disparu au fil du temps et depuis le XVIIe siècle, le terme ukiyo est synonyme d’un monde de plaisir fugace. C’est cette signification hédoniste que nous retrouvons avec le suffixe e (« image ») dans le terme ukiyo-e. Bien que ukiyo-e fait à l’origine référence à une tradition picturale, le terme est aujourd’hui associé à la gravure traditionnelle. À Edo (actuelle Tokyo) où était installée la cour du shogun cette gravure sur bois (ou xylographie) connut une percée spectaculaire au XVIIe siècle en tant qu’activité commerciale destinée à une clientèle bourgeoise toujours plus aisée. Les sujets les plus populaires furent à l’’origine la beauté féminine et les acteurs kabuki.

Texte Musées Royaux d’Art et d’Histoire, Brixelles, Belgique

Katsushika HOKUSAI (1760-1849), Dans le creux d’une vague au large de Kanagawa (Kanagawa oki namiura) – Suite : trente-six vues du mont Fuji – Ca. 1830-1832 / Format : ōban, 25,6 x 37,2 cm

Susuki HARUNOBU (1725 ?-1770), Incandescence du soir autour de la lampe (détail) – Suite : Les huit vues du salon de réception – Ca. 1766 / Format : Chuban, 27,8 x 21 cm

Utagawa HIROSHIGE (1797-1858), Le Grand Pont et Atake sous une averse (Ōhashi Atake no yūdachi) – Suite : Cent vues d’endroits célèbres d’Edo : (Meisho Edo hyakkei) – IX/1857 / Format : ōban, 36,0 x 24,6 cm

Itō SHINSUI (1898-1972), Jeune femme en longue tunique de dessous, 1927 / Dimensions : 43 x 27 cm

Katsushika HOKUSAI (1760-1849), Le temple Honganji à Asakusa, dans la capitale de l’Est (détail) – Suite : trente-six vues du mont Fuji – Ca. 1830-1832 / Format : ōban, 25,7 x 38 cm

Kawase HASUI (1883-1957), Le sanctuaire de Hie sous la neige, 1931 (détail)

Kitagawa UTAMARO (1756 ?-1806), L’heure du Tigre (Tora no koku) – Suite : Les douze heures des maisons vertes (détail)

 

 

Utagawa HIROSHIGE (1797-1858), Vue des tourbillons dans la province d’Awa

Détail – Utagawa HIROSHIGE (1797-1858), Vue des tourbillons dans la province d’Awa

Détail – Utagawa HIROSHIGE (1797-1858), Vue des tourbillons dans la province d’Awa

Utagawa HIROSHIGE (1797-1858), Le pont du Tambour et la colline du Soleil couchant à Meguro – Suite : Cent vues d’endroits célèbres d’Edo – Format : ōban, 36 x 24 cm

 

Chobunsai EISHI (1756-1829), Chasse aux lucioles – Ca. 1796-1797 / Tryptique d’ōban, 37,1 x 72,7 cm (détail)

 

Utagawa HIROSHIGE (1797-1858), Bac sur le fleuve Sumida parodiant le chapitre Li (détail) – Ca. 1843-1846 / Format : ōban, 33,9 x 23,4 cm

Kawase HASUI (1883-1957), Le temple Tennō à Osaka (Ōsaka Tennōji) – Suite : Souvenirs de mes voyages, troisième série (Tabi miyage dai sanshū) – 1927 / Dimensions : 38,5 x 25,3 cm

La visite terminée nous sommes sortis retrouver l’hiver. Nous avions perdu la notion du temps et nous sommes étonnés du jour qui déclinait déjà. Le froid était piquant et le ciel d’une pureté absolue. Nous avons croisé un passant, cheveux drus d’un noir bleuté, très beau visage aux yeux bridés, comme tout droit sorti d’une estampe. Cela nous a fait sourire. Nous nous sommes hâtés vers la voiture, pressés de retrouver la maison, un feu, une tasse de thé, le calme pour mieux se souvenir des images juste quittées. J’ai levé les yeux vers le ciel qui prenait une teinte bleu de Prusse et, là-haut, tout là-haut, brillante comme jamais, la lune se tenait en un croissant parfait.


Ukiyo-e  – Les plus belles estampes japonaises
21.10.2016 – 12.02.2017
Musée du Cinquantenaire
Parc du Cinquantenaire, 10
B – 1000 Bruxelles

 

 

Ces estampes seront présentées en deux volets (en raison des contraintes de conservation) avec un nouvel accrochage à partir du 20 décembre prochain.

 


 

4 commentaires

  1. Rosette dit

    Merci Virginie, je ne peux m’imaginer une meilleure préparation pour ma visite de cette expo prévue pour la semaine prochaine! Ton style est sublime

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  2. Hello Virginie! I apologize for my absence for so long. Sometimes a break is necessary but I did not expect time to have passed by so quickly since I last visited with you or that it would have been so long that I posted an article myself! As always it was a wonderful treat to read your beautiful words and to be transported away to these wonderful images of winter. What a truly beautiful exhibition this was. The colors are glorious and there is something so calming and serene about each image. Thank you for sharing and for describing your day with such beautiful « poetry ».
    – Kate xx

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  3. Hello Kate, Surtout ne t’excuses pas ! J’ai moi même été très loin de mon blog, d’Instagram et, plus dommage, de ton merveilleux « Grey Tabby Garden » … Et je réponds à ton gentil commentaire très tardivement … C’est plutôt à moi de m’excuser ! Je suis heureuse en tous cas si tu as apprécié ces quelques reproductions et si le récit de ce qui fût une belle journée d’hiver.
    Je suis sûre que tu aurais adoré cette exposition.
    Merci Kate pour ta fidélité et l’intérêt que tu portes à mon modeste blog !
    Virginie xx

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