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Désagréments

Mon lave-vaisselle vient de me lâcher tout comme mon four la semaine précédente. Adieu poulet rôti et bonjour vaisselle à la main ! Et un désagrément n’arrivant jamais seul, ma Lancia fait depuis quelques jours un bruit de mobylette trafiquée, le pot d’échappement vraisemblablement.

C’est la vie, ou plutôt la loi des séries. Et cela n’est pas bien grave. Je peste juste à l’idée de devoir courir chez Boulanger et claquer près de deux mille euros dans de l’électroménager et d’avoir à remplacer un pot catalytique dont le prix est supérieur à un aller-retour Bruxelles-Venise …

Cela dit, faire la vaisselle à la main est somme toute assez relaxant, voire une forme de méditation. J’en avais d’ailleurs déjà fait l’expérience à Doudeauville où le lave-vaisselle a eu la bonne idée de tomber en panne la veille de Noël nous forçant à renouer avec une activité dont nous nous croyions débarrassés à tout jamais. Et c’est là que j’ai redécouvert, non pas la joie, mais le bénéfice d’une telle activité qui n’est somme toute que concentration, organisation et exigence. Nettoyer, rincer sous de l’eau très chaude pour qu’assiettes et couverts sèchent plus rapidement, les faire égoutter, rangés par catégories, sur des torchons en nid d’abeille, ôter ses gants Mapa – clac, clac – d’un geste assuré d’expert et se réjouir du travail accompli. Finalement, ça fait du bien. C’est du concret et là je sais vraiment pourquoi j’ai travaillé. Ce qui n’est pas toujours le cas, au travail notamment, dont le sens m’échappe de plus en plus.

Cela dit, en ce moment, je suis en pause. En pause prolongée. La faute à un ménisque légèrement fissuré qui m’oblige au repos. Et même si être immobilisée est pour moi la pire des choses, cela m’arrange presque, tant je n’en pouvais plus de devoir supporter petits chefs incompétents et certains collègues qui en temps de guerre vendraient père et mère pour un quignon. L’avantage de prendre de l’âge est de perdre ses illusions quant à la nature humaine; la jalousie, la méchanceté, l’égoïsme et la bêtise étant les défauts les mieux partagés. Le monde est ainsi fait et je lui tourne le dos, pour l’instant. Bulle d’oxygène, sas de décompression, je ne vole pas du temps mais rassemble mes forces pour retourner dans la bataille. Je laisse derrière moi dossiers inutiles et réunions qui le sont tout autant. Quant à mes supérieurs (enfin, si l’on peut dire – mais je me refuse toujours à employer le mot chef), ils me feraient pitié si leur incompétence et leur médiocrité ne les rendaient pas aussi mauvais et surtout sans courage. Défendre sa peau au détriment des autres, faire profil bas, accepter sans broncher de courber l’échine car sinon leur avancement en pâtirait, ces petits chefs sont experts en la matière. Comme je les plains.

Vous vous demandez alors pourquoi je supporte tout ça ? Eh bien, parce que je n’ai pas de poule aux œufs d’or dans mon jardin et qu’il faut bien manger, et s’acheter des livres et des billets d’avion et du numéro 5. J’ai depuis quelques années fait le choix du travail alimentaire contre un salaire plus qu’honnête. Je fais bien mon boulot (rédiger, mettre en forme, produire du contenu, communiquer), beaucoup  mieux même que je ne devrais mais ne m’investie plus comme par le passé. Les sujets ne me passionnent pas, loin de là – je me dis d’ailleurs parfois que ma tête va tomber d’ennui sur mon bureau – mais les trouve presque fascinants de par leur inintérêt justement. Fascinant aussi la fausse implication, l’intérêt que simulent certains de mes collègues lors des réunions d’équipe ; ces « premiers de la classe » (je n’ai jamais pu les supporter), lécheurs de bottes gonflés de l’importance qu’ils croient être la leur. Cela m’amuse presque. Comme Cou de Poulet, collègue que j’ai ainsi surnommée en raison de son petit cou maigre et fripé, arrivant en réunion comme on entre en scène, tellement fière des qualités qu’elle croit posséder : une grande beauté (elle qui m’a dit un jour « j’ai un très beau sourire ») doublée d’une intelligence hors norme (heureux ceux qui ne doutent de rien et surtout pas d’eux-mêmes). Cou de Poulet, un spectacle à elle-seule, n’ayant de cesse, alors que je suis pourtant concentrée sur l’un de mes dossiers, de passer et repasser devant mon bureau afin d’être complimentée sur une nouvelle tenue. Elle effectua même un jour devant moi une sorte de ballet assez comique, se propulsant de long en large sur sa chaise à roulettes grâce à un savant jeu de jambes destiné à me mettre quasiment sous les yeux sa dernière paire de mocassins … Alors, dans ces réunions lorsque je m’ennuie, je place discrètement devant moi un article du Monde que je n’avais pas encore eu le temps de lire, la reproduction d’une œuvre que j’aime ou … je les dessine, mes collègues. Loïc, le chef, avec ses lunettes excentriques, son crâne dégarni et ses sweat-shirts déprimants, Ludivine dont l’accoutrement semble être le résultat d’un cadavre exquis vestimentaire (robe d’été, bottes de ski, poncho mexicain, gros nœud dans les cheveux), Marie-Françoise la Verte qui rêve de vivre dans une yourte et adore le quinoa, et dont la hargne n’a d’égal que son égo surdimensionné ou Nadia, silhouette de culbuto et petits yeux mauvais, d’une jalousie maladive et faisant de l’inquisition son sport favori.

Je les croque, je crayonne et m’amuse du clin d’œil de Ludo, mon voisin dont l’humour caustique et la gentillesse me permettent de supporter ces autres. Oui, le monde du travail – et je peux l’affirmer étant en fin de carrière -, tient plutôt du combat perpétuel que du tea-time chez les bisounours. Et ce, quelque soit le domaine dans lequel vous travaillez. J’ai le souvenir de conservateurs de musées mauvais comme des teignes et d’artistes cupides et détestables. Il y a heureusement des gens bien mais tellement peu. Mais peut-être est-ce cela la nature humaine ? Certains restent des animaux après tout, chacun défendant son territoire, le morceau d’antilope dont il va faire son déjeuner en se disant qu’ensuite il ira provoquer le chef de meute pour lui voler sa place. Il n’y a qu’à regarder du côté de l’Ukraine …

Alors, pour l’heure je bois du thé, je fais ma vaisselle à la main et je me dis qu’heureusement il y a les livres.

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