Auteur : Virginie M.

Un cadeau du Nouvel An

J’ai toujours associé le jour de l’An au froid, aux bleus et aux gris, au calme d’un matin de givre glacial, à la magie du ciel qui, en douce, alors que tout le monde fête à tue-tête les douze coups de minuit, nous fait basculer dans une nouvelle plage de temps, immaculé comme la neige qui se devrait alors de tout recouvrir. La neige comme une transition entre le monde de la veille et celui tout neuf d’aujourd’hui. La neige qui change tout – même si rien ne change –, nous force à lever les yeux, le nez contre la vitre, hypnotisé par la chute lente de gros flocons aussi légers que des plumes. La neige du jour de l’An, malheureusement, se fait de plus en plus rare. Ma mère aime à raconter comment son oncle Adolphe venait chez mes grands-parents le jour de l’An, ce jour des étrennes, des vœux et pour ma mère et lui, le jour des batailles de boules de neige dans le jardin. Heureux temps d’avant, si loin des vœux …

Un endroit qui me plaît

Je me suis souvent demandé pourquoi, tout comme les saumons qui remontent la rivière vers l’endroit où ils sont nés, certains reviennent toujours sur les lieux de leur enfance. Peut-être parce qu’ils retrouvent là tout ce qu’ils aiment, tout ce qui les a construits ? Vraisemblablement. Pour ma part, j’ai toujours pensé que les lieux nous façonnent et laissent en nous des traces tenaces. Et lorsque notre enfance fut heureuse – comme la mienne le fût -, les retrouver, c’est retrouver le bonheur, des paysages, des parfums, des sensations, des sons, connus, reconnus, à tout jamais familiers, qui nous rassurent et nous apaisent. Retrouver ces lieux, c’est arrêter le temps. Le passé se confond alors au présent. Nous revenons « à la maison », nous nous retrouvons. Moi, c’est dans les Vosges où je me retrouve. Et depuis quelques années, c’est là et seulement là où je veux être, où je veux retourner encore et encore. Dans les Vosges. Dans la forêt. Dans la forêt des Vosges. Je ne rêve plus d’Inde ou d’Australie, mes priorités ont bougé, …

Gourmet à manger du foin …

Monsieur Ansel qui nous aide au jardin ne s’étonne plus de mes expériences culinaires pour lesquelles je sollicite son aide : cueillette de reine des près dans le jardin abandonné de notre voisin (pour aromatiser du vin) ou de fleurs de sureau dans les branches les plus hautes de l’arbre car là elles sont plus belles (pour aromatiser un cake). Et quand je lui propose de goûter feuilles de consoude, de tilleul, de sedum, ou bourgeons de sapin, primevères et autres fleurs comestibles, il me répond invariablement avec un sourire et une moue légèrement dégoûtée, que non merci, sans façons, il n’aime pas les herbes et les salades ! Au fil des ans, même s’il s’est habitué à notre consommation de plantes qu’il doit juger étrange et bien qu’il arrose consciencieusement nos plants de roquette, d’hysope ou de capucine, il n’en goûtera jamais ne serait-ce qu’une feuille ou un pétale. Malgré tout – et cela est devenu un jeu entre nous -, je continue à lui indiquer tout ce qui se mange dans le jardin en lui …

Parfum d’helichrysums

Vendredi 22 juillet, 9h30. Il fait chaud, déjà vingt-sept degrés et la température, nous dit Météo-France, atteindra les trente-cinq degrés cette après-midi. Je devrais m’en réjouir mais préfère me calfeutrer chez moi. Je supporte difficilement cette chaleur lourde, suffocante dont je sais pourtant qu’elle ne durera pas, car nous sommes dans le Nord. Et puis, la ville empeste ; un mélange de poussière et de l’odeur caractéristique des trottoirs crasseux souillés d’urine. Il ne fait pas bon être à Lille en période de canicule. Je n’aime de chaleur que celle du sud, celle des îles grecques, leur chaleur sèche et parfumée. • À Serifos, nous traversons des paysages lunaires, ocre-jaune, sous un ciel chauffé à blanc. Quarante degrés et la sensation de cuire doucement. Sur le siège arrière de la voiture l’eau en bouteille est brûlante et ne désaltère pas. Nous roulons, toutes fenêtres ouvertes. La poussière de la route se dépose partout, sur le tableau de bord et sur nos visages. Quand nous arrêtons la voiture et coupons le moteur, le silence se fait, nous …

Une robe jaune à Venise

J’ai toujours trouvé très kitsch l’idée de Venise ville des amoureux. La guimauve d’un romantisme convenu ne lui sied pas ; la ville mérite mieux, de la passion discrète ou du sexe brûlant, ou les deux, oui, mais sans le mièvre et les violons qui en font rêver beaucoup. Moi qui ne supporte pas que l’on me prenne la main en public et déteste les effusions ostentatoires, j’ai parfois frémi à l’idée que monsieur Bruxelles puisse m’embrasser place Saint Marc – mais, me connaissant, il ne s’y est jamais risqué. J’ai bien le souvenir d’un retour nocturne qui nous vit traverser la ville les doigts enlacés, mais nous étions seuls ! L’air était d’une douceur qui invitait à un certain laisser aller, à une mollesse d’après diner quand le vin, les pâtes et le tiramisu ont fait leur œuvre. Le reste du temps un regard, un frôlement léger suffisaient. Pas besoin de se donner en spectacle. Cependant, et cela pourra sembler contradictoire, je regarde toujours avec une certaine tendresse ces femmes qui, installées avec leurs compagnons aux …

Tous les lilas de mai

C’était à l’automne dernier, je partais au travail, j’étais en retard, comme d’habitude, et d’une humeur de chien ou plutôt d’une tristesse noire. Pourquoi ? Je ne m’en souviens pas mais je sais qu’il est dans ma nature de passer de la joie la plus extrême à la mélancolie la plus sombre. Je me connais. Je devais alors me sentir coincée entre travail et contraintes, mécontente de ma vie, seule, sans avenir, sans la moindre perspective heureuse … Bref, j’étais en pleine déprime. J’écoutais la radio – la voiture étant le seul endroit où je l’écoute – et pianotais sur l’autoradio, résignée à ne rien entendre qui me plairait car tout m’irritait. Mon doigt avait finalement enfoncé la touche 7, France Inter, où Augustin Trapenard annonçait que son invitée du jour allait se mettre au piano. Au point où j’en étais, j’écoutais, ne m’attendant à rien de bien. Ce fut tout le contraire. Quelques notes de piano, puis ces paroles On ne peut pas vivre ainsi que tu le fais, d’un souvenir qui n’est plus …

Désagréments

Mon lave-vaisselle vient de me lâcher tout comme mon four la semaine précédente. Adieu poulet rôti et bonjour vaisselle à la main ! Et un désagrément n’arrivant jamais seul, ma Lancia fait depuis quelques jours un bruit de mobylette trafiquée, le pot d’échappement vraisemblablement. C’est la vie, ou plutôt la loi des séries. Et cela n’est pas bien grave. Je peste juste à l’idée de devoir courir chez Boulanger et claquer près de deux mille euros dans de l’électroménager et d’avoir à remplacer un pot catalytique dont le prix est supérieur à un aller-retour Bruxelles-Venise … Cela dit, faire la vaisselle à la main est somme toute assez relaxant, voire une forme de méditation. J’en avais d’ailleurs déjà fait l’expérience à Doudeauville où le lave-vaisselle a eu la bonne idée de tomber en panne la veille de Noël nous forçant à renouer avec une activité dont nous nous croyions débarrassés à tout jamais. Et c’est là que j’ai redécouvert, non pas la joie, mais le bénéfice d’une telle activité qui n’est somme toute que concentration, organisation …

Confiture du Nouvel An

Qui adresse encore ses vœux en prenant la peine de les écrire sur une jolie carte et de l’expédier en ayant pris soin de coller un beau timbre sur l’enveloppe ? Plus grand monde, malheureusement, et je peux compter sur les doigts d’une main les cartes que je reçois. Cette année encore, les textos reçus – et dont on devine qu’il s’agit d’un envoi en nombre tant ils sont rédigés de manière impersonnelle afin d’être adressés à l’entièreté d’un carnet d’adresses téléphoniques (amis, collègues, … plombier et fournisseurs !) – m’ont laissée consternée. Et que dire de cette formule à la mode « belle année » qui me hérisse au plus au point. L’adjectif bonne est-il trop traditionnel, trop simple ? Vraisemblablement. Certains doivent, j’imagine, penser faire preuve d’une originalité folle en remplaçant bonne par belle. Insupportable. Moi je veux qu’on me souhaite une bonne année, point barre. Et quant à savoir si elle sera belle, il faut la laisser passer car c’est bien au travers du filtre du temps, des expériences heureuses et malheureuses que l’on pourra dire : « mes …

La forêt, les Vosges, la liberté

Mardi 7 septembre – Nous marchons depuis plus d’une heure sur un étroit sentier serpentant entre rochers et buissons de myrtilles. Le soleil filtre à travers les branches des sapins et des hauts pins sylvestres éclaboussant le sous-bois de tâches de lumière mouvantes. Il fait chaud, incroyablement chaud en ce début septembre, comme si l’été s’était enfin décidé à faire son travail après nous avoir infligé un temps catastrophique durant tout le mois d’août. Une mauvaise blague faite aux écoliers mais qui fait mon bonheur. L’été, la forêt s’offre d’une manière plus douce à ceux qui veulent s’y réfugier, permet la sieste le dos confortablement calé contre le tronc d’un arbre ou la pause thé que l’on étire à loisir car l’air est d’une douceur qui donne presque envie de pleurer. Je ne me suis pas sentie aussi bien depuis longtemps. Marcher, s’arrêter, regarder, humer le parfum de résine, ne penser à rien si ce n’est à mettre un pied devant l’autre en évitant de buter sur les rochers ou d’écraser des scarabées cheminant vers …

Burano

Aussi incroyable que cela puisse paraître, je n’étais jamais allée à Burano, découragée à l’idée de devoir affronter les troupes de touristes d’un jour que cette île attire comme un aimant. Autant à Venise on peut les semer, autant cela m’a toujours semblé plus difficile sur cette ile minuscule. Mais la pandémie ayant eu au moins le mérite de tenir à distance les hordes de barbares, je me décidai à quand même y passer une journée. Levée très tôt, je filai prendre le vaporetto sur les Fondamente Nove. Une petite demi-heure de marche sans croiser grand monde – heure matinale oblige – par les chemins connus de la Celestia et de San Zanipolo. Arrivée sur le ponton je déchantai quelque peu. Une vingtaine de touristes déjà épuisés par la chaleur attendaient le vaporetto pour Burano, des français pour la plupart à l’exception d’une tonitruante famille d’allemands dont le petit dernier avait été affublé d’une casquette de marin portant l’inscription « Venezia ». Pauvre gosse. On repère vite les gêneurs qui nous gâcherons à coup sûr un moment …