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Rendez-vous au musée

Il y a dans la vie d’étranges hasards, des coïncidences, des concordances de temps et d’espace qui nous prouvent qu’effectivement … rien n’arrive par hasard, que nos émerveillements, nos découvertes, toutes nos rencontres sont liés, reliés par des fils invisibles qui tout en s’enchevêtrant, nous tirent, nous poussent, nous enveloppent et nous accompagnent.

Et parfois cela se manifeste par de tout petits clins d’œil …

Il y a quelques années, je devais participer à un séminaire en Norvège. Le vol qui emportait les autres participants vers Stavanger étant complet, je voyageais seule – et m’en réjouissais ; ouf, un peu de liberté ! – et devais faire escale à Amsterdam – et cela aussi me réjouissait tant j’aime les avions et les aéroports.

J’avais emporté Le voyage à Venise de Philippe Beaussant parce que j’ai toujours un livre en cours et parce que l’avion est, selon moi, l’endroit au monde le plus propice à la lecture. Pourquoi avais-je choisi ce roman ? Je ne sais plus. Parce qu’il y était question de Venise dont je revenais ? Sans doute. Mais également de peinture, de l’amour de la peinture et de l’amour tout court. Beau programme pour traverser le ciel de Paris jusqu’aux fjords, non ? Et puis, il y avait aussi la couverture de ce livre de poche, une peinture justement. Un très beau et énigmatique portrait de petite fille.

Aussitôt l’avion envolé, je me suis plongée dans mon livre, levant les yeux de temps à autre pour contempler les nuages mais également pour étudier le portrait de la couverture. A peine la lecture reprise, je refermais le livre sur mon pouce en guise de marque page pour me plonger encore et encore dans cette peinture. Avez-vous remarqué comme certaines images, certaines photographies, certaines peintures ne se laissent pas facilement épuiser. Elles n’en finissent pas de nous interroger, notre œil y revient sans cesse, presque malgré nous. On croit en avoir fini de notre contemplation mais non, nous sommes rattrapés, happés à nouveau, notre œil et notre esprit retournent à ce mystère non résolu. Cela peut tenir à des couleurs, un paysage ou, comme ici, à un portrait ; ou plutôt à un regard …

J’y revenais, à intervalles réguliers ; avec pour seule et maigre réponse à mes questionnements les indications de la quatrième de couverture : Jeune fille à l’oiseau mort, Ecole flamande, Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.

J’appris par la suite que ce portrait était l’œuvre d’un peintre anonyme et datait du début du 16ème siècle.

Du peintre, du modèle, de cette peinture, que sait-on ? Rien. Ou plutôt tout. Tout ce que l’on peut voir (pour qui tente de voir vraiment), tout ce qui a été dit par le peintre, et tout ce que l’on peut imaginer … l’infinie tristesse et l’incompréhension muette d’une petite fille – « en train de fermer un coin de son cœur » – devant la mort d’un oiseau qu’elle devait chérir et la compréhension du peintre devant cette douleur là qui sait, lui, que la vie n’en est pas avare …

Je devais être à la moitié du livre quand nous a été annoncé, alors que l’avion amorçait sa descente, une « attente d’atterrissage ». J’ai soupiré et refermé mon livre. Ma voisine a replié le journal qu’elle lisait et s’est exclamée « oh, ils vont encore nous faire tourner des heures ! » puis s’est tournée vers moi avec un très beau sourire et … les mêmes, les absolument semblables yeux gris-bleu de mon portrait. La petite fille était là, juste à côté de moi à l’aplomb quasi exact de l’endroit où le portrait fut peint …

J’aime à croire aux hasards qui n’en sont pas.

Venise m’a menée au livre de Philippe Beaussant qui m’a fait découvrir ce tableau qui m’a conduite au musée d’art ancien de Bruxelles où je la retrouve, Margreet Van Kleeneberg – comme l’appelait l’oncle du roman de Beaussant qui avait comme moi une tendresse toute particulière pour cette petite fille, cette toute petite peinture auprès de laquelle la plupart des visiteurs passent sans même y jeter un regard.

Depuis que je l’ai découverte, cette peinture fait partie de mes rendez-vous réguliers (avec Bosch, Brueghel et Memling). Je la vois de loin quand j’arrive dans la galerie des maîtres anciens, elle m’attend et j’accélère même le pas pour l’atteindre comme on le ferai avec quelqu’un que l’on a hâte de retrouver mais, même si elle m’est devenue familière, son mystère reste entier …

•••

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »

Paul Eluard

 


 

Peut-être aurez-vous envie de lire :
« Le rendez-vous de Venise » de Philippe Beaussant (Editions Fayard, 2003)

 

Et de découvrir cette peinture … :
Musée d’art ancien (Musée Oldmasters Museum)
3 rue de la Régence, 1000 Bruxelles

 

La fillette à l’oiseau mort
Peinture sur bois, 36 x 29 cm
Ecole des Pays-Bas méridionaux
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles


 

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