Un chardonneret, une mésange huppée, un troglodyte-mignon.
Ils sont trois dans la chambre de mes parents, trois petits médaillons, trois souvenirs du Palais de Sans Souci ; le Palais de Frédéric II à Postdam que mes parents visitèrent lors d’un voyage en Allemagne de l’Est du temps où l’Allemagne se coupait en deux, du temps où j’étais toute petite et mon frère à peine conçu (ce qui m’a toujours fait dire qu’il visita Berlin avant moi …).
La visite de ce palais leur avait laissé un souvenir enchanté et depuis, leur récit de la bibliothèque de Voltaire, des grosses pantoufles qu’ils avaient dû chausser pour ne pas érafler les parquets – mais glisser tels des patineurs – et des écureuils roux virevoltants dans les grands arbres du parc me faisait rêver.
Aussi, lors d’un voyage professionnel à Berlin, il y a de ça quelques années, j’en profitais le dimanche avant mon retour pour filer à Postdam.
Nous étions mi-février et le thermomètre était descendu très en dessous de zéro. Le quartier de Mitte où je séjournais était désert, comme figé par le froid et même les ours du pont sur la Spree semblaient frigorifiés.
La ville et la campagne que je contemplais ensuite depuis le train avaient pris cette teinte grège du grand froid qui semble poser sur toute chose un voile de pastel glacé. Dans le train, peu de voyageurs tout comme dans la gare où j’arrivais, impatiente et heureuse comme un explorateur de pyramide ou de quelque contrée fabuleuse. Car c’est bien ce que je comptais découvrir. Et retrouver l’émerveillement qu’eurent mes parents.
Dehors, les rues étaient presque vides. Vide également le parc que j’atteignis rapidement ; le froid incitait à la course pour se réchauffer en dépit de ma doudoune et des gants fourrés.
Le parc m’attendait. De grands arbres noirs et nus sur le ciel gris, des allées de sable beige, des pelouses gelées et le croassement de corbeaux désœuvrés sautant de branches en branches comme pour passer le temps. Rien de très engageant et pourtant, un je-ne-sais-quoi dans l’air me fit dire que cet endroit était particulier. Le silence ouaté, le ciel d’un blanc opaque, la substance même de l’air glacé et humide semblaient avoir posé un couvercle invisible sur le domaine ; un endroit hors du temps pour perdre la notion du temps. Frédéric II avait dû s’y promener, mes parents s’y étaient promenés, je m’y promenais à mon tour. Pensée on ne peut plus banale, j’en conviens, mais je reste fascinée par notre capacité à jouer avec l’espace et le temps comme avec un élastique. Vivre dans la même seconde le maintenant et l’avant … Surprendre un rayon de soleil frapper le parquet de la Galerie des Glaces ou se perdre dans la contemplation des nuages depuis l’une de ses fenêtres, c’est voir ce que des centaines de courtisans ont vu avant vous et dont ils ont pu être touchés de la même manière, c’est ressentir et s’émouvoir de ces mêmes petits riens. Vivre le lieu, en faire l’expérience sensible, permet de voyager dans le temps puisque rien ne change. En tous cas ni la lumière, ni les reflets sur les verres anciens des fenêtres, ni la vue depuis un perron. Et c’est cela que je retrouvais ici, à l’orée du parc. Une magie de « l’hors du temps ».
Pour l’heure, pas d’écureuils ; ils devaient encore dormir dans leur nids bien chauds, n’ayant d’ailleurs peut-être pas du tout l’intention de sortir – dimanche oblige – préférant la dégustation de leur réserve de noisettes à la contemplation amusée des quelques rares et courageux visiteurs.
Il m’a fallu marcher longtemps, sans plan et donc en me perdant un peu, avant de découvrir le refuge de Frédéric II. Façade jaune, d’un jaune que l’on nomme « impérial » entre l’ocre-jaune et le jaune beurre-frais, rococo, féérique, qui tranchait et détonnait dans tout ce gris ; un peu comme si l’on venait de planter un décor de théâtre au cœur de la nature. Vision féérique. Palais de conte pour enfants. Pas étonnant que le palais et son parc aient tant plu à ma mère de qui je tiens mon goût pour le vrai merveilleux, celui de la forêt et des bêtes invisibles, de la nuit de velours, des princesses-grenouilles et des plumes de chardonneret que l’on trouve par hasard sur la mousse d’un rocher … Ce palais était pour nous.
Je devais déjeuner avec mon collègue et ami Angelo – qui avait eu la bonne idée, à l’instar des écureuils, de faire la grasse matinée – et nous avions convenu de nous retrouver devant le palais. Midi n’avait pas encore sonné. J’avais donc encore le temps de faire le tour de ce palais à échelle humaine, de redescendre les marches qui y mènent et traversent les vignes en terrasses plantées par Frédéric. Me perdre à nouveau dans le parc dans le silence et le gris glacé de l’air humide, apercevoir le vert d’eau et les dorures du pavillon chinois, atteindre le Neues Palais (très laid) mais y découvrir une boutique. Aucun lieu, aussi féerique qu’il soit n’y échappe. Les museum shop sont aux musées ce que l’audioguide est au visiteur. Une calamité. Regardez par vous-même et engrangez des souvenirs ai-je toujours envie de crier. Cela dit, le froid m’ayant glacée jusqu’aux os, j’entrai dans la boutique de souvenirs en poussant un soupir d’aise tant la chaleur qui y régnait était bienfaisante. Une bien jolie boutique d’ailleurs toute en plafonds très hauts, en moulures et en parquets cirés. De quoi décolérer et se réchauffer. Je traînais un peu entre les piles de livres et les cartes postales quand je les vis, sur une table ronde nappée de blanc, des oiseaux, de jolis oiseaux de nos jardins sur de petits médaillons de porcelaine blanche.
Les illustrations étaient d’assez bonne facture et, surtout, la plupart des oiseaux de Doudeauville étaient là. Petites miniatures précieuses. Ils feraient le bonheur de Diane ; enfin, je l’espérais. Je fis mon choix. J’en voulais trois car, c’est mon chiffre et puis tout est plus beau par trois. Je tergiversais pendant une bonne demi-heure, perdant la notion du temps, absorbée par mon travail de sélection du plus parfait, de l’oiseau aux plus belles couleurs, du médaillon sans aucun défaut. Je les plaçais côte à côte, essayant plusieurs associations ; rouge-gorge et mésange, roitelet et pinson. Mon choix se porta finalement sur le chardonneret, la mésange huppée et le troglodyte mignon (oui, c’est bien son nom) hôtes réguliers de notre jardin et parmi nos préférés. Je les fis emballer dans plusieurs feuilles de papier de soie et les emportais comme un trésor.
Angelo m’attendait ; nous devions quand même travailler notre rapport de mission. Je demandais à un touriste allemand de nous prendre en photo devant « Sans souci » puis nous nous filâmes vers un restaurant que j’avais aperçu, caché sous les arbres, derrière le palais. Les salles étaient bondées – à croire que tous les berlinois s’y étaient donné rendez-vous – mais on nous trouva une place dans la galerie vitrée donnant sur le jardin. Il y faisait chaud, les effluves des plats que l’on servait étaient délicieuses et le brouhaha joyeux. Je commandais kartoffeln und würste (nous étions en Allemagne quand même !) et une bouteille de vin blanc. La nourriture, le vin et la chaleur nous amollirent quelque peu. Après le strudel aux pommes et à la cannelle, le café fut servi dans de petites tasses vertes et or, les couleurs même du pavillon chinois que j’avais aperçu tout à l’heure.
Il fallu repartir, le jour semblait déjà décliner et le ciel s’était assombri.
Angelo ne parlait pas trop – c’est un ami parfait – et je pouvais ainsi goûter les derniers instants dans ce parc. J’avais remonté le col de ma doudoune, nous marchions d’un bon pas et je serrais contre moi le sachet de plastique blanc qui contenait mon trésor.
Je l’ai déjà dit, parfois la vie nous offre des moments suspendus, des moments hors du temps dont on se souviendra ensuite avec une précision surprenante et qui d’ailleurs nous étonnera. Pourquoi ? La concordance heureuse de notre disponibilité, de notre volonté d’émerveillement ? Sûrement. Mais plus encore – et ça, j’en suis persuadée – car le temps et l’espace sont élastiques et les expériences vécues, et les liens créés, autant de fils d’Ariane …
Ces trois petits oiseaux sont maintenant côte à côte sur le bleu ciel de la chambre de mes parents. Et il me suffit d’un regard pour me transporter là bas et « avant » …
Diane & Dad., Berlin, Postdam, Sans Souci, Doudeauville, Postdam, les oiseaux et les jardins …
L’or du temps.
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Sans Souci, palais de style rococo, fut la résidence d’été, le refuge de Frédéric II, roi de Prusse (dit Frédéric le Grand) qui aimait, à la fin de sa vie, à y séjourner avec la seule compagnie de ses chiens. Frédéric II avait une idée très précise de la résidence qu’il souhaitait et l’architecte Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff s’appuya d’ailleurs sur les croquis du roi pour sa réalisation. Le palais fut construit en seulement 2 ans (1745 – 1747) et se caractérise par sa petite taille et les 10 pièces en enfilade qui le constituent. Il est entouré d’un parc de 300 ha dans lequel se trouvent également le Neues Palais, le pavillon chinois et une orangerie.
Sans Souci est situé à Potsdam à environ 25 kms de Berlin.
Pour découvrir le site, c’est ICI.
Pour faire une pause et vous restaurer, je vous conseille le restaurant où j’avais déjeuné : le Mövenpick restaurant Zur Historischen Mühle (lien ICI)
Pour s’y rendre :