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Venise appartient à ceux qui se lèvent tôt …

Il est des réveils plus faciles que d’autres. Lorsque la sonnerie de mon téléphone retentit à 6 heures, j’étais déjà éveillée ou plutôt je somnolais comme un chat qui attend son heure, m’étirant de temps à autre tout en écoutant la pluie rebondir sur les dalles de ma micro terrasse. Il pleuvait encore. Pas de chance. Aucune lumière ne filtrait à travers les volets mais je savais que dans moins d’une heure le jour serait là, bien plus tôt que chez moi ; une demi-heure de décalage avais-je remarqué. Il me fallait donc être là-bas avant 7 heures. Je l’avais décidé ; me rendre au point du jour sur une piazza San Marco rendue à elle-même, désertée, emplie seulement du même calme étrange que celui de la salle de spectacle vidée de ses spectateurs. C’était le jour de mon départ, je voulais le rendre inoubliable.

J’avais déjà fait l’expérience de la piazza déserte il y a quelques années. Alors que je devais me rendre à un rendez-vous de travail près de Santa Maria Formosa, j’avais quitté mon hôtel au petit matin et couru – je suis toujours en retard – à travers ruelles et campi, déserts cette heure, pour déboucher, comme un automate et seulement guidée par ma volonté d’être ponctuelle, sur la place Saint-Marc. Je devais juste la traverser, en oblique, au plus court, afin de gagner de précieuses minutes. Je courrais donc, mon dossier sous le bras, veillant à ne pas trop m’essouffler afin de ne pas arriver le chignon défait, rouge et hors d’haleine. Je courrais sans prêter attention à la beauté des ruelles, ne voulant pas me laisser distraire. Je courrais et finis par me retrouver, presque sans m’en rendre compte, sous les arcades des Procuraties. Là, je me figeais, ma course stoppée nette. La piazza qui ne devait être qu’un moyen de raccourcir mon trajet, juste quelques lignes abstraites sur mon plan, s’offrait, vide, absolument déserte, comme toute neuve, comme lavée par la nuit. La basilique semblait attendre, tapie au fond de la place. Pas un chat. Pas un pigeon. Juste un livreur et l’ombre rapide d’un passant. Une légère averse d’été, tiède et silencieuse, s’était mise à tomber et je restais immobile, émerveillée, oubliant d’un coup mon rendez-vous, toute à ma contemplation et consciente de la grâce de cet instant. La piazza m’était offerte par surprise et mon étonnement n’en était que plus grand. Le même étonnement que Thelma et Louise devant le Grand Canyon devais-je penser ensuite lorsque je me remémorerais ce moment. Un cadeau du hasard, un cadeau de Venise.

C’est cet étonnement que je voulais retrouver avant de partir. M’offrir ce cadeau.

Je me levais donc et ouvris les volets sur la nuit. La pluie était glacée et je constatais en frissonnant que le sol de la terrasse s’était transformé en une petite mare, une acqua alta venue du ciel en quelque sorte. Vite habillée, sans même prendre le temps d’un thé, je quittais ma chambre et passais devant la réceptionniste médusée qui me lança un buongiorno interrogateur. Pourquoi diable, devait-elle se dire, affronter la pluie de si bon matin alors que les croissants fourrés et le jus d’oranges fraichement pressées attendaient les clients dans la salle feutrée du petit-déjeuner ?

J’eus vite fait de franchir le pont de l’Académie, traversais ensuite, d’un pas rapide, les campi San Stefano, San Maurizio et San Moïse puis la calle Larga XXII Marzo où je ne croisais que quelques travailleurs pressés, des livreurs poussant leurs chariots à bras et des éboueurs s’accordant une cigarette adossés à la vitrine de chez Gucci.

J’arrivais enfin.

La pluie tombait toujours, mêlée maintenant à des cristaux de neige. Un balayeur traversait la place, petit point jaune citron dans le gris du matin. Seules les gouttes d’eau se faisaient entendre et de grandes flaques, comme autant de miroirs, s’étaient formées, reflétant la basilique et le ciel ; je pensais à Diane qui, avant mon départ, m’avais dit : « ce n’est pas grave s’il pleut car à Venise même les flaques d’eau sont belles !… ». Et elle avait raison ! Comme toujours.

 

 

Vers 8 heures, les premiers touristes arrivèrent. Il était temps de rentrer.

D’ailleurs, mon manteau était trempé, mes doigts gelés et j’avais soudain très envie d’une tasse d’English Breakfast brûlant, de fruits frais et d’une part de cette délicieuse crostata alla marmellata qui faisait mon régal du matin à la Calcina.

Je pris le chemin du retour, légère et joyeuse, avec la sensation de m’être rendue à quelque rendez-vous secret. Mais après-tout, c’était un peu cela, un rendez-vous secret avec Venise … qui appartient à ceux qui se lèvent tôt.

 

 

 

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