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Rentrée

M

on retour à la réalité du travail est toujours un traumatisme.

J’ai beau m’y préparer, retrouvant les vieux réflexes et les habitudes apprises dans l’enfance, rien n’atténue la difficulté du retour en prison.

D’ailleurs, ce matin, alors que je buvais à petites gorgées ma tasse de thé, les yeux dans le vague du ciel désespéramment gris, j’ai senti monter une angoisse sourde, un malaise indéfinissable, une nausée familière. La nausée de la rentrée. Depuis que j’ai six ans, depuis l’école primaire, tous les ans, la même angoisse et aujourd’hui encore. Rentrée au travail, rentrée à l’école : même combat. Et ce n’est pas là un vain mot. Car c’est bien d’un combat à mener contre ma nature profonde dont il s’agit. Se contraindre, s’obliger, s’enfermer.

Alors, comme tous les ans, j’anticipe, ne laissant rien au hasard pour ne plus devoir y penser ensuite.

Hier soir, j’ai ainsi préparé, avec une rigueur toute militaire, vêtements, chaussures, sac et bijoux (ma tenue de combat) et même mon casse-croûte – rêvant de glisser dans mon panier une mignonnette de cognac (que j’adorerais dégainer au plus fort d’une réunion ennuyeuse, sous l’œil évidemment effaré de mes collègues …). J’ai également ressorti du placard le mug bleu que je réserve au bureau, une boite de thé vert et l’indispensable remède au stress du retour : du chocolat noir. Mes affaires d’école étant prêtes, je pouvais alors tenter d’oublier pour un temps le retour imminent au travail.

Anticiper permet de gagner du temps et donc de pouvoir en perdre … Et je me connais, le matin de la rentrée, je dois pouvoir m’accorder quelques minutes de liberté ; faire comme si j’avais le temps, comme si cette journée m’appartenait encore. Alors oui, les yeux dans le vague, une boule au ventre mais me laissant distraire par le spectacle modeste mais oh combien passionnant se déroulant sous mes fenêtres. Pollux, l’un des matous du quartier, – croisement de siamois et d’angora et que j’ai ainsi baptisé en raison de sa ressemblance avec le Pollux du Manège enchanté – traverse tranquillement le parking. Il ondule, pose une patte devant l’autre, museau pointu et fourrure blonde ébouriffée, petit lion, prince-chat, ne se souciant de rien d’autre que d’atteindre le poste d’observation qu’il s’est choisi et d’affirmer par sa seule présence qu’il est ici chez lui.

Encore quelques gorgées de thé, encore quelques minutes de liberté.

***

Lorsque j’étais petite, à chaque rentrée, j’étrennais une nouvelle paire de chaussures. J’ai toujours aimé les chaussures et détesté l’école, alors, pour adoucir mon retour en classe, Diane m’emmenait à la Botte Chantilly afin que j’y choisisse mocassins, bottes ou richelieus.

Je me souviens d’ailleurs parfaitement d’une paire de derbies dont le coloris d’écureuil et le cuir brillant, comme glacé, me consolèrent d’une rentrée en CM2. J’arrivais dans une nouvelle école et m’y sentais étrangère, comme abandonnée en pays inconnu et tout en moi refusait d’être là. Pourtant il me fallut bien endurer cette première journée. De mon institutrice, de ce que l’on m’enseigna ce jour-là, des autres élèves, je n’en ai aucun souvenir. En revanche, j’ai encore en mémoire la récréation précédant l’étude du soir. Pour la première fois de ma jeune vie, je devais rester à l’étude, c’est-à-dire ne pas quitter l’école tout de suite après la classe mais faire mes devoirs avec d’autres camarades d’infortune sous la surveillance d’un maître. Mes parents avaient dû s’y résoudre car nous venions de déménager et ils ne pouvaient tout simplement pas – étant eux-mêmes enseignants dans une autre ville – venir me chercher plus tôt. Je déambulais donc dans la cour où traînait une poignée d’élèves, solitaire, avec au cœur une tristesse vague, n’ayant envie de rien, ni de parler ni de jouer mais seulement le désir de rentrer à la maison au plus vite, d’en finir avec cette première journée. Ma seule consolation fût d’avoir aux pieds mes nouvelles chaussures. Je les trouvais magnifiques. Tout en elles me plaisait : l’originalité de leur couleur, le cuir lustré, les œillets de laiton vieilli. Et puis, elles étaient en accord parfait avec les marrons qui jonchaient le sol, bijoux dans leurs bogues vert acide, et l’odeur âcre d’un feu dans un jardin voisin. Les chaussures d’automne par excellence. Le jour déclinait peu à peu ajoutant à la mélancolie de l’instant mais l’air était doux, immobile et les grands marronniers de la cour rassurants. Je me souviens avoir alors extirpé de la poche de mon tablier le goûter préparé par Diane : une part de gâteau aux pommes et à la cannelle. Mordre dans ce gâteau c’était retrouver le goût réconfortant de la maison et du bonheur. Je le dégustais un œil sur mes chaussures écureuil et cela me sauva. Cette journée n’était rien, une obligation dans ma vie d’enfant – et dont il faudrait ensuite s’accommoder, c’est-à-dire apprendre, se faire des amies et aussi, en guise de rébellion, les quatre cent coups – mais ce n’était nullement ma vraie vie. Il est comme ça des certitudes qui sans même être pensées – je n’avais que dix ans – s’ancrent en nous dès le plus jeune âge. Est-ce les évènements qui nous façonnent ou notre nature profonde qui nous guide ? Les deux vraisemblablement … En tous cas, du plus loin que je me souvienne j’ai toujours éprouvé une sensation de solitude, d’isolement et d’abandon à être ainsi enfermée loin du clan familial et amical. L’école n’était pas pour moi et je ne reprenais vie qu’à l’heure de la sortie. Alors, manger ce gâteau, me fût d’un réconfort absolu.

***

Pollux en un bond souple et silencieux a sauté sur le toit de ma voiture. De là, il pourra guetter l’arrivée de Choupette, la chatte de mes voisins.

8h30. Ma théière est maintenant vide et me rappelle, mieux que ne le ferait une alarme, qu’il est temps de me mettre en route. J’attrape mon sac, les clefs de la voiture et file. Devoir me hâter me donne de l’énergie.

Je salue Pollux qui en quelques bonds atterrit sur une autre voiture, lui crie « à ce soir chat-chat ! » et démarre. J’ai fait le plus dur.

Et puis, j’ai aux pieds mes nouvelles chaussures roses …

 

 

 

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