La vie étant ce qu’elle est – c’est-à-dire tout sauf un long fleuve tranquille -, il est parfois réconfortant de se laisser aller à une certaine mélancolie. Soigner le mal par le mal en quelque sorte. Ce début d’année me fût calamiteux. Bloquée de toute part, coincée dans le gris et sans perspective aucune d’amélioration à court terme -pour employer un langage que j’exècre mais qui est finalement à l’image de cette période de ma vie -, je dois ma survie aux petits riens. Ces petites choses sans importance qui éclairent notre journée et nous arrachent un sourire, fût-il intérieur. Rien n’arrive par hasard. Le corps parle pour nous et dans mon cas, m’empêcha d’avancer. Bloquée, complétement bloquée à l’orée d’une nouvelle décennie (2020 les amis !) et d’un âge (le mien) qui devrait pourtant me voir encore pétante de forme et d’un optimisme à toute épreuve. Oui, peut-être, enfin c’est ce que je croyais, après avoir soufflé mes bougies le 2 octobre et quitté mon monsieur, mais la vie se charge de nous freiner et de nous donner des leçons. Mon immobilité actuelle me force à envisager l’avenir différemment. Certaines choses ne seront plus et d’autres sont à créer.
Pour autant la nostalgie, la nostalgie est bien là. Celle de ce qui est perdu à jamais et celle de notre jeunesse qui s’enfuit.
J’ai beau savoir que « the sun will come again » comme me l’écrivait mon amie Terri, la route est un peu longue sous les averses.
Soigner le mal par le mal et écouter de sombres pièces classiques sur France musique en partant au boulot ou tomber sur cette chanson de France Gall que j’aime tant : Évidemment. Souvenir d’un retour de Paris avec Diane, moi au volant de l’Audi, écoutant toutes deux un entretien avec Ariane Ascaride qui confiait adorer cette chanson. Une chanson qui dit la vérité. De ce qui est perdu, des blessures, de « ce goût amer en nous » mais aussi de nos fous-rire encore, et malgré tout, comme des enfants …
Et lorsque je l’entends par hasard, comme ce soir de la semaine dernière alors que je rentrais tardivement chez moi, je ne peux empêcher les souvenirs des moments perdus d’affluer : plus jamais le jardin de mamie, ses œillets de poètes et la tortue Marguerite, la balançoire très haut, très vite, les gourdes de grenadine, « l’ogre Piteers » vendeur de journaux, les virées en scooter et sans casque dans les îles grecques, les blagues téléphoniques, les cœurs chavirés, ma 2CV vert-pomme, la cafétéria des Beaux-Arts, Dimitri au grand cœur et les fêtes au bord de l’Égée, les routes d’été en décapotable rouge, Dario Moreno chanté à tue-tête, les nuits blanches et les fous-rires au champagne, l’insouciance, la liberté … La liberté de la jeunesse qui ne sait pas encore …
Mais on rit encore parfois, comme des enfants. Oui.
Cette même semaine dernière, mon frère fit un saut dans le Nord, tout seul – chose rare, évènement à marquer d’une pierre blanche – ce qui permis de nous retrouver un moment rien que tous les deux. Frère et sœur. Comme avant, ou presque – les belles-sœurs ne comprenant jamais, sauf exception, qu’il leur faut lâcher du lest et ne pas coller leurs maris non-stop car jalouses j’imagine des souvenirs communs dont elles se sentent exclues. Mais elles le sont, de fait ! Les liens du sang comme aimait à le dire ma grand-mère ouvrent un monde, un espace de retrouvailles dont seuls les bâtisseurs ont la clef. Alors, vouloir forcer la porte … Pourtant, l’intelligence (enfin celle du cœur) devrait leur souffler d’accorder à leur moitié la liberté de redevenir de temps à autre un frère, dans un univers qui leur sera de toute façon à jamais étranger puisque celui de l’enfance et de la jeunesse …
J’étais avec Antoine donc et nous fîmes, avant d’aller déguster une frite en Belgique, un mini pèlerinage dans les rues de notre enfance, déplorant les changements inévitables et rarement heureux mais riant également au souvenir de l’oncle Adolphe, des Chokotoff, de la boutique Auto-sport-Willy et de Clotaire le réparateur de vélo … Nous avions à nouveau dix, quinze, vingt ans. Notre frite avalée, et alors que nous roulions vers l’appartement de nos parents, j’avais soudain demandé : « À propos, tu as toujours tes dents de vampire ? ». Et mon frère de s’esclaffer et de répondre : Ah non ! Mais c’est vrai, c’était super ! ». Antoine avait en effet, dans le vide-poche de sa première voiture – une Ford Capri coupé -, de très ressemblantes dents de vampire achetées dans une boutique de farces et attrapes et qu’il pouvait en un geste la fois discret et rapide accrocher à ses propres canines. Notre plus grand plaisir était alors de s’arrêter tout à côté des voitures attendant aux feux-stop et de sourire largement aux conducteurs. Leur étonnement apeuré nous fait encore rire aujourd’hui. Me fait rire, oui, mais plus tout à fait comme avant.
Il y a comme un goût amer en moi. Ce qui était, ce qui aurait pu être, ce qui n’est plus. Et j’en connais la raison …
Alors oui, écouter la voix de France Gall, se souvenir des bonheurs enfuis même si cela est un peu triste, s’accorder une tasse de thé le nez à la fenêtre, contempler les étoiles et les chardonnerets, s’accrocher aux petites merveilles de la vie et se dire que Terri a raison : the sun will come again !
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Pour écouter la chanson, c’est ICI, avec le « clip officiel » très « années 80 » et donc très nostalgique pour ceux dont se furent également les années de jeunesse …
Y a comme un goût amer en nous
Comme un goût de poussière dans tout
Et la colère qui nous suit partout
Y a des silences qui disent beaucoup
Plus que tous les mots qu’on avoue
Et toutes ces questions
Qui ne tiennent pas debout
Évidemment
Évidemment
On danse encore
Sur les accords
Qu’on aimait tant
Évidemment
Évidemment
On rit encore
Pour des bêtises
Comme des enfants
Mais pas comme avant
Et ces batailles dont on se fout
C’est comme une fatigue, un dégoût
À quoi ça sert de courir partout
On garde cette blessure en nous
Comme une éclaboussure de boue
Qui n’change rien
Qui change tout
Évidemment
Évidemment
On danse encore
Sur les accords
Qu’on aimait tant
Évidemment
Évidemment
On rit encore
Pour des bêtises
Comme des enfants
Mais pas comme avant
Pas comme avant
La nostalgie ne vous ressemble pas Virginie. Oui aux petits riens qui font le beau, le bien, le bon de chaque journée.
Merci pour vos moments de partage qui me font voyager, dans le temps, dans l’espace, entre les odeurs de jardin et les saveurs de votre cuisine.
La liberté se prend ou se gagne, un adulte est raisonnablement en cage seulement s’il le veut bien… .
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